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Adoption de la motion tendant à demander au gouvernement d'étudier l'impact de sa législation sur les minorités et les régions

Honorables sénateurs, je suis ravie d'avoir la chance de conclure le débat aujourd'hui sur ma motion voulant que le Sénat demande au gouvernement d'accompagner tous ses projets de loi d'une étude sur l'impact social et économique qu'ils auront sur les régions et les minorités en relation au rôle du Sénat de représenter et de protéger les minorités et les régions.

La motion vise à faire en sorte que toute région ou groupe minoritaire au Canada ne soit pas touché par inadvertance par tout projet de loi gouvernemental sans que le Sénat n'ait été informé au préalable de l'impact possible de la mesure.

Il me paraît essentiel et judicieux que le Sénat demande au gouvernement d'accompagner tous ses projets de loi d'une étude sur leur impact social et économique afin de prévoir les répercussions de ces lois auprès des régions et des minorités. Ainsi, le Sénat sera outillé pour respecter ses obligations constitutionnelles ainsi que son rôle historique et conventionnel de représentation et de protection des minorités et des régions. C'est précisément l'objectif de cette motion qui est tout à fait raisonnable et logique lorsqu'on réfléchit à notre rôle de sénateur et aux effets législatifs sur les régions et les minorités. Se doter de cet outil important permettrait de raffiner nos capacités d'analyse, dans cette Chambre et en comité, pour vraiment répondre au mandat qui nous a été confié par la Constitution pour nos régions respectives et les minorités concernées.

Des sénateurs ont soulevé quelques préoccupations au sujet de cette motion.

Premièrement, certains ont dit que cette exigence législative peut nécessiter du temps et poser problème lorsque des lois importantes doivent être adoptées rapidement.

Dans le cadre de l'élaboration de politiques, il est pratique commune pour chaque ministère de l'appareil exécutif de tenter de mesurer l'impact de ces politiques non seulement sur la population entière, mais sur les régions et les minorités concernées de façon plus particulière. Il est donc connu que ces études qui servent à anticiper les répercussions des politiques et lois proposées existent déjà. Je suis d'avis que les sénateurs devraient avoir accès à ces études afin de connaître non seulement les objectifs du gouvernement, mais surtout l'impact possible du projet de loi présenté tel que l'anticipe le gouvernement en place. Pour ainsi dire, ces études sont déjà effectuées par le gouvernement. Cette motion veut donc faire en sorte que le législatif ait accès aux études d'impact effectuées par l'exécutif. Il ne sera donc pas plus onéreux en temps et en argent de remettre ces études aux sénateurs.

À titre de comparaison, aux États-Unis il n'est pas rare que le gouvernement fasse une évaluation de l'impact législatif et réglementaire et que cette évaluation soit publiée en regard de l'avant-projet de loi déposé. Cette étude a pour but d'évaluer l'impact des mesures devant être incluses dans le projet de loi et, habituellement, elle fait aussi état des coûts et avantages liés aux options de mise en oeuvre privilégiées par le gouvernement. À l'étape de l'étude en comité, plusieurs études sur l'impact économique sont déposées, habituellement afin de permettre au législateur de prendre des décisions plus éclairées. Ces études comportent normalement deux volets, en ce sens qu'elles mesurent les répercussions économiques et sociales de la loi proposée, et qu'elles ciblent souvent un contexte régional. Cette pratique souhaitable doit être encouragée, mais je pense que nous devrions étendre sa portée aux minorités et aux régions, de façon à refléter notre propre dimension constitutionnelle et aussi le rôle du Sénat.

Une autre critique importante de la motion est que le terme « minorité » n'est pas défini et que, par conséquent, il serait difficile de mener une étude précise et structurée de l'impact des mesures législatives. Je crois comprendre que les « minorités », dans le contexte canadien, sont déjà définies dans les décisions des tribunaux, en fonction du contexte. Je m'en tiendrai donc à la définition juridique d'une « minorité » telle qu'établie par la Cour suprême du Canada. En général, une « minorité » est définie en tant que groupe sociologique qui ne constitue pas un ensemble dominant, sur le plan politique, dans la population totale d'une société donnée. La minorité sociologique n'équivaut pas nécessairement à la minorité numérique. Il pourrait s'agir de tout groupe qui n'a pas les mêmes avantages que le groupe dominant en ce qui concerne le statut économique, l'éducation, l'emploi, la richesse et le pouvoir politique.

La jurisprudence relative à l'application de l'article 15 de la Charte mesure la nature du préjudice subi par un particulier ou un groupe désavantagé. Cette analyse porte d'habitude sur les caractéristiques personnelles de ceux qui prétendent avoir été traités différemment et cherche à déterminer, entre autres choses, si les membres de ce groupe ont historiquement été désavantagés, stéréotypés ou victimes de préjudice.

Le principe non écrit de la protection des minorités a été reconnu pour la première fois en 1998 dans le Renvoi sur la sécession du Québec. Selon la Cour suprême du Canada, il s'agit de quatre prémisses inexprimées que sous-tendent le texte de la Constitution et de la Charte, et qui en sont la force vitale. Ces principes sont ceux du fédéralisme, de la démocratie, du constitutionnalisme et de la primauté du droit, et de la protection des minorités.

Le principe de protection des minorités énonce l'engagement constitutionnel pris par le gouvernement pour veiller au respect et à la protection des minorités linguistiques sur le territoire canadien. Il est important de noter que la Cour suprême a reconnu que ce principe non écrit a aussi une force normative qui lie à la fois les tribunaux et les gouvernements. Ainsi, ce principe peut donner lieu à des obligations spécifiques et précises, c'est-à-dire qu'il peut donner lieu à des obligations juridiques qui posent des limites à l'action gouvernementale.

Voilà pourquoi il est important d'avoir à notre disposition les outils nécessaires pour bien mesurer les répercussions des mesures législatives auprès des minorités.

En outre, il a été allégué ici, au Sénat, que la motion est trop vague pour donner une orientation utile à ceux qui préparent les évaluations. Il est important de signaler que c'est au gouvernement qu'il incombe de fournir au Sénat une étude des répercussions sociales et économiques sur les régions et les minorités. Je crois que tout gouvernement et tout ministre responsable demanderait au ministère de produire une analyse et une étude sur ces questions avant de présenter quelque mesure législative que ce soit. Le fardeau que représente la production de telles études existe déjà étant donné que la plupart des ministères les produisent et les utilisent avant de rédiger les mesures législatives. Dans la plupart des cas, on pourrait s'acquitter de l'obligation tout simplement en déposant les documents exigés.

Le lundi 6 novembre 2006, le sénateur Tkachuk déclarait ceci au Sénat :

La raison d'être du Sénat est de protéger les intérêts des régions et des minorités. Lorsqu'un projet de loi est renvoyé à un comité pour qu'il l'étudie, il faut qu'on y prenne en considération, outre ce qu'il en coûtera au pays, les incidences socio-économiques de ce projet de loi sur les régions que nous représentons ainsi que l'importance qu'il revêt à nos yeux. Ainsi, nous saurions mieux ce qui se passe.

Il serait bon que les honorables sénateurs se rappellent, une fois les études terminées, de soulever certains de ces points. J'ose espérer que le Sénat ne se pliera pas systématiquement aux désirs du ministre.

Il semble que les sénateurs, peu importe à quel parti ils appartiennent, acceptent les principes qui sous-tendent la motion. Nous nous entendons sur le fait que, lorsque des projets de loi sont renvoyés à des comités, les répercussions sociales et économiques qu'ils ont sur les régions que nous représentons doivent être connues et prises en compte. Par exemple, dans le cas de l'accord sur le bois d'oeuvre et de son projet de loi de mise en oeuvre, le projet de loi C- 24, que savons-nous de leurs répercussions sur l'économie de nos régions? Quelles sont les répercussions prévues en ce qui a trait aux fermetures de scieries, à la perte d'emplois et à la dévastation des collectivités rurales? Quelles sont les conséquences de la réduction du financement des programmes d'alphabétisation lorsque nous savons que chaque réduction d'un point de pourcentage du taux d'analphabétisme peut faire croître notre PIB de 18 milliards de dollars? Quelles sont les répercussions de l'élimination des programmes d'emploi des étudiants dans nos régions?

Quel est l'impact de l'abolition du Programme de contestation judiciaire sur nos régions et surtout sur nos communautés en situation minoritaire? La réponse à ces questions ne peut pas simplement rester sous le secret de documents ministériels sans que les législateurs puissent en prendre connaissance, et en faire l'évaluation avant de se prononcer en faveur ou contre un projet de loi.

Soit on a un gouvernement, une gouvernance transparente et responsable, soit on n'en a pas. Soit on a un Sénat progressiste et responsable ayant les outils nécessaires pour faire son travail, soit on n'en a pas. Conséquemment, cette motion veut que le Sénat demande au gouvernement d'accompagner tous ses projets de loi d'une étude sur l'impact social et économique qu'ils auront sur les régions et les minorités.

Le Sénat a une obligation historique et constitutionnelle de représenter et de protéger les minorités et les régions. Je suis d'avis que ces mesures auraient dû être prises il y plusieurs décennies. Des erreurs ont été commises par des gouvernements de différents partis politiques et nous nous devons de nous donner de meilleurs outils pour mieux mesurer l'effet des projets de loi que nous étudions.

Honorables sénateurs, ce que je vous propose aujourd'hui est nécessaire pour rehausser l'efficacité de rendement vis-à-vis nos responsabilités historiques et constitutionnelles.

Honorables sénateurs, je propose l'adoption de cette motion.