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C-25 : Projet de loi sur la modernisation de la fonction publique

Honorables sénateurs, il me fait plaisir de dire, en tant que Canadienne française et Néo- Brunswickoise, à quel point je suis heureuse de pouvoir prendre la parole à l'étape de la deuxième lecture du projet de loi C-25.

Je suis le produit du concept d'égalité des chances mis en place au Nouveau-Brunswick par l'honorable sénateur Louis J. Robichaud. Dans les quelques mots que je vais prononcer, j'aimerais que vous preniez en considération la valeur que cette notion d'égalité des chances représente pour moi. Aujourd'hui, on dit «égalité des opportunités». Cela explique pourquoi j'en ai beaucoup à dire sur le projet de loi C-25 qui, en réalité, réunit quatre différents projets de loi.

Je voudrais souligner au moins quatre principaux éléments de l'un des quatre projets de loi qui me préoccupent beaucoup en tant que Néo-Brunswickoise et Canadienne.

Le premier, c'est que le projet de loi C-25 établit de nouveau les critères géographiques en vue de l'admissibilité à un poste dans la fonction publique fédérale. La zone de sélection est de 50 kilomètres. Un autre problème important que nous devons considérer lorsque nous examinons le projet de loi C-25, c'est le fait que d'ici cinq ans, près de 25 p. 100 de la fonction publique fédérale sera renouvelée. Des fonctionnaires prennent leur retraite. Ils comptent pour le quart de la fonction publique actuelle.

Le sénateur Bolduc a mentionné un autre élément important, il y a quelques jours. Nous parlons désormais du niveau de qualifications qui «satisfait aux critères». Nous ne cherchons plus le candidat «très qualifié», ce qui est très important lorsqu'on se rend compte que, d'ici cinq ans, 25 p. 100 de la fonction publique sera remplacée par des personnes qui ne devront que «satisfaire aux critères», sans nécessairement être «très qualifiés».

Un autre élément important dont j'entends parler constamment depuis 10 ans, c'est le favoritisme dans notre régime de fonction publique. Les Pères de la Confédération savaient très bien ce qu'ils faisaient lorsqu'ils ont inséré le Sénat dans notre Constitution. L'équilibre de la représentation régionale au Sénat compense le déséquilibre qui existe aux Communes, car les régions les plus peuplées détiennent la majorité du pouvoir au sein du gouvernement et de notre pays.

Le projet de loi C-25 illustre parfaitement la façon dont nous, sénateurs, qui sommes responsables de cette institution, pouvons favoriser un traitement égal au sein de la population de nos régions. Nous avons également une responsabilité à assumer à l'égard de notre Constitution et de sa précieuse Charte des droits et libertés, qui comprend les droits de mobilité.

Je cite l'article 6:

6.(1) Tout citoyen canadien a le droit de demeurer au Canada, d'y entrer ou d'en sortir.

(2) Tout citoyen canadien et toute personne ayant le statut de résident permanent au Canada ont le droit:

a) de se déplacer dans tout le pays et d'établir leur résidence dans toute province;

b) de gagner leur vie dans toute province.

Aux termes de l'article 34 de la partie 3 du projet de loi C-25 qui propose une nouvelle Loi sur l'emploi dans la fonction publique, la commission peut établir des critères géographiques aux fins d'admissibilité pour des concours internes et externes. Je le répète, ces critères géographiques ont maintenant été établis, par règlement probablement, à 50 kilomètres.

Ainsi, dans la région du Grand Ottawa, nous avons une population d'environ un million d'habitants, mais nous avons 40 p. 100 des emplois dans la fonction publique fédérale. En d'autres termes, 0,3 p. 100 de la population canadienne a un accès exclusif à 40 p. 100 des emplois au gouvernement fédéral.

Environ 20 p. 100 des emplois dans la fonction publique se retrouvent à Montréal, qui représente environ 10 p. 100 de la population canadienne. On retrouve environ les mêmes chiffres dans la région de Toronto. Il n'est pas nécessaire d'être un comptable pour additionner ces chiffres.

Je dois également dire, cependant, que ces 20 p. 100 de la population canadienne qu'on retrouve à Montréal et Toronto ne peuvent pas poser leur candidature pour 60 p. 100 des emplois fédéraux à l'extérieur de la zone de 50 kilomètres.

Fondamentalement, 80 p. 100 des emplois seront limités à 20,3 p. 100 de la population canadienne, ce qui laisse à peine 20 p. 100 des emplois fédéraux possibles aux 80 p. 100 de la population vivant à l'extérieur de ces trois grandes villes.

Ainsi, les habitants de Kingston ne peuvent poser leur candidature à un emploi à Ottawa. Ceux de Hamilton ne peuvent poser leur candidature à des emplois à Toronto. Ceux d'Edmundston ne peuvent poser leur candidature à des emplois à Fredericton ni Moncton, au Nouveau-Brunswick, à cause de ces restrictions qu'une institution importante a imposées de son propre chef.

Après des années de restrictions, à l'heure actuelle, environ 80 p. 100 des fonctionnaires viennent de ces trois grands centres.

En quoi consistent les répercussions de ces 80 p. 100 de la fonction publique sur les politiques et les programmes? Ces fonctionnaires analysent les questions, font des recommandations et mettent en œuvre des programmes en fonction de leur patrimoine et de leur connaissance du pays. Quatre-vingt pour cent d'entre eux viennent probablement de ces trois grandes villes.

Permettez-moi de vous raconter une expérience que j'ai vécue et qui illustre bien à quel point nos fonctionnaires sont complètement coupés de la réalité qui peut exister à l'extérieur du centre du Canada. En 1995, j'étais députée de la circonscription de Madawaska-Victoria. Il était question à l'époque de transformer l'assurance-chômage en assurance-emploi. J'ai rencontré la directrice du programme, une dame charmante d'ailleurs, à qui j'ai signalé le fait suivant: n'oublions pas que nous, le gouvernement fédéral, disons aux pêcheurs quand ils peuvent pêcher. Ils peuvent le faire de telle date à telle date. Nous leur précisons quand ils peuvent pratiquer leur métier. Par ailleurs, pour devenir admissibles à l'assurance-emploi, la période pendant laquelle ils doivent travailler est trois fois plus longue.

Savez-vous ce que cette dame m'a répondu? Elle a dit: «Eh bien, après leur saison de pêche, les pêcheurs de Terre-Neuve pourraient aller pratiquer leur métier à Vancouver.»

Ce que je raconte là aux honorables sénateurs est très important. C'est lié aux responsabilités que nous devons assumer au Sénat, car nous devons défendre l'intérêt de tous les Canadiens. Nous devons comprendre ce qui se passe dans toutes les régions du pays. À cette fin, nous devons compter sur des fonctionnaires de toutes les régions du pays.

Cela vaut non seulement pour les concours externes, mais également pour le processus de dotation interne de la fonction publique, même à l'intérieur de la zone géographique de 50 kilomètres.

Depuis dix ans, je dénonce ce processus injuste. Le processus limite les chances. Cela est inacceptable. C'est incompatible avec les droits à la mobilité garantis par notre Charte des droits et libertés.

Dix ans d'efforts. On me dit depuis quelques mois: «Nous avons des projets pilotes dans la région de Toronto. Cela coûtera cher». J'ai demandé combien. On m'a répondu: «Nous pouvons acheter des logiciels pour faire le travail, mais cela coûtera en gros 38 millions de dollars.» Honorables sénateurs, 38 millions pour assurer l'équité, la justice, l'égalité des chances, cela me semble bien peu.

Voici un autre exemple de mes discussions. On m'a dit: «Vous savez, ce sera très coûteux d'assurer l'attestation des compétences linguistiques des candidats.» J'ai répondu: «Vous m'étonnerez toujours. Savez-vous que dans tout le pays, nous avons des bureaux des ressources humaines? Nous avons des campus universitaires partout. Pourquoi n'autorisez-vous pas les responsables de l'éducation à attester les compétences linguistiques des candidats qui veulent devenir fonctionnaires? Vous n'avez pas à assumer tous ces coûts.»

Il y a une sorte de mentalité qu'il faut briser, cette façon de voir les choses avec des œillères. Je recommande donc que le Sénat amende le projet de loi pour faire disparaître les critères géographiques dans les concours internes et externes pour tous les niveaux d'emploi dans la fonction publique fédérale.

Le projet de loi C-25 comporte aussi une disposition intéressante qui délègue le pouvoir de la commission aux sous-chefs et gestionnaires. C'est très inquiétant. Peu importe ce que nous éliminerons comme échappatoires dans le projet de loi, peu importe notre avis sur les dispositions à supprimer concernant les zones de concours, cette délégation de pouvoir donne à n'importe quel gestionnaire la possibilité d'engager des fonctionnaires par des moyens détournés. Nous avons toujours entendu parler du favoritisme politique.

Quels mots affreux: favoritisme politique. Le projet de loi C-25 ne dit pas un mot de l'influence politique.

Honorables sénateurs, conformément aux articles 68 et 69 du projet de loi, la commission peut mener une enquête sur des plaintes d'influence politique ou de fraude. Il n'est prévu nulle part dans le projet de loi C-25 que la commission ou le tribunal enquête sur des plaintes de favoritisme bureaucratique — les entrées par la porte arrière.

Nous avons entendu dire que des bureaucrates se disent l'un l'autre: «Tu engages mon fils et j'engagerai ta fille. N'as-tu pas un cousin qui cherche un emploi?»

Honorables sénateurs, nous avons tous entendu des tas d'histoires de ce genre. Par conséquent, je recommande aussi que le Sénat modifie le projet de loi C-25 de telle sorte que la commission et le tribunal qui sera créé aient le mandat de mener une enquête sur des plaintes de favoritisme bureaucratique s'exerçant de l'intérieur et de l'extérieur.

À la dernière séance du comité à laquelle j'ai participé, il a été question du préambule du projet de loi, dont voici quelques lignes: qu'il demeure avantageux pour le Canada de pouvoir compter sur une fonction publique non partisane et axée sur le mérite et que ces valeurs doivent être protégées de façon indépendante;

Et qui se lit plus loin comme ceci: que la fonction publique, dont les membres proviennent de toutes les régions du pays, réunit des personnes d'horizons, de compétences et de professions très variés et que cela constitue une ressource unique pour le Canada;

Quelle arrogance que de prévoir l'article 34, partie 3, et de restreindre la possibilité pour les Canadiens de faire valoir leur capacité à devenir de bons fonctionnaires après avoir cité de telles valeurs dans le préambule!

Enfin, je suis persuadée que la fonction publique est une institution nationale extrêmement importante qui joue un rôle clé auprès des Canadiens. Il nous faut prendre le temps de procéder à un second examen objectif de cette mesure législative. Bien que je ne sois pas membre du Comité sénatorial permanent des finances nationales qui est censé recevoir ce projet de loi... J'ai l'intention d'assister à toutes les séances pour poser des questions sur chaque disposition des quatre parties du projet de loi et pour promouvoir des amendements visant l'égalité d'accès pour tous nos concitoyens, quel que soit l'endroit où ils vivent dans ce grand pays qui est le nôtre. J'ai aussi l'intention de promouvoir des concours ouverts, publicisés et impartiaux à l'interne comme à l'extérieur.

Honorables sénateurs, j'espère que j'aurai votre appui dans mes démarches pour rendre la situation plus équitable.