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Motion tendant à demander au gouvernement d'étudier l'impact de sa législation sur les minorités et les régions

Honorables sénateurs, j'aimerais d'abord remercier le sénateur Oliver pour avoir été le seul de son parti à applaudir le dépôt de ma motion. J'étais vraiment touchée. Cette motion est tout à fait raisonnable et logique lorsqu'on réfléchit à notre rôle de sénateur, ainsi qu'aux effets sur les régions et les minorités de la législation découlant de politiques gouvernementales.

En somme, depuis quelque temps, il me semblait que nous avions une faiblesse dans nos capacités d'analyse dans cette Chambre et en comité pour vraiment répondre au mandat qui nous est confié pour nos régions respectives et les minorités concernées. Il nous manque une pièce centrale pour vraiment donner la performance attendue ainsi que pour répondre efficacement au rôle qui nous est donné.

Certains individus mal informés ou mal intentionnés s'aventurent pour dire que nous sommes inefficaces et non imputables. N'y a-t-il pas dans le processus parlementaire, et surtout dans le processus décisionnel de l'exécutif, une panoplie d'analyses lorsqu'on évalue une législation, une politique, ainsi que les programmes appropriés?

N'y a-t-il pas des heures infinies de travail, et des sommes substantielles qui sont investies à même les fonds publics pour fournir ces analyses dans le processus décisionnel?

Dans un processus démocratique, ouvert et respectueux, n'y a-t-il pas avantage à fournir les analyses d'impact qui ont mené à une décision et à une législation particulières?

Dans nos responsabilités sénatoriales, n'y a-t-il pas eu dans le passé une gamme de législations, de programmes qui ont eu un effet dévastateur sur une région ou sur une autre, ou sur un groupe minoritaire?

Honorables sénateurs, ce que je vous propose aujourd'hui est nécessaire pour rehausser l'efficacité de rendement face à nos responsabilités historiques. Comme vous le savez, en 1864, à la Conférence de Québec, les Pères de la Confédération ont jeté les bases de ce qui allait devenir, quelques années plus tard, le Parlement du Canada. Ils se sont inspirés du modèle britannique, qu'ils ont adapté à la réalité canadienne et qu'ils ont doté du pouvoir de légiférer pour que règnent la paix, l'ordre et le bon gouvernement.

En 1867, les fondateurs du Canada voulaient former une nation qui regroupait différentes communautés répandues sur un territoire étendu, toutes différentes les unes des autres, tant dans le domaine de l'économie, de la langue, de la religion, du droit et de l'éducation. Il fallait un Parlement qui serait capable de respecter la volonté de la majorité, de la population canadienne, mais également de protéger les intérêts des régions et des minorités.

Le Sénat a été créé en vertu de la Loi constitutionnelle de 1867, pour la protection des intérêts régionaux, mais aussi pour assurer ce que Georges-Étienne Cartier appelait le pouvoir de résistance, c'est- à-dire le pouvoir de la minorité de s'opposer à l'élément démocratique de la majorité.

La Chambre des communes était élue sur la base de la représentation selon la population. En 1867, l'Ontario est la province la plus peuplée et connaît la croissance la plus forte, mais l'importance du Québec et des Maritimes, sur le plan de l'économie nationale, dépasse la taille de leurs populations, de sorte que leurs intérêts ne sont en rien les mêmes que ceux de l'Ontario. N'osant pas laisser les questions relatives aux tarifs, à l'imposition et aux chemins de fer entre les seules mains d'une Chambre des communes dominée par l'Ontario, le Québec et les Maritimes ont insisté pour obtenir une représentation régionale, égale à la Chambre haute, sinon il n'y aurait pas eu de Confédération.

Comme vous le savez sans doute, notre Parlement est constitué de trois éléments : la souveraineté, c'est-à-dire la Reine ou la Gouverneure générale, le Sénat, dont les membres sont nommés, la Chambre des communes, dont les membres sont élus et, ensemble, ces éléments fournissent les instruments dont nous avons besoin pour nous gouverner.

Les Pères de la Confédération savaient que le Parlement aurait besoin d'un mécanisme tenant compte des souhaits de la majorité, mais protégeant également les intérêts des régions et des minorités. Ce mécanisme était alors, et encore aujourd'hui, le Sénat. À cet effet, Georges Brown a déclaré que le Sénat était la clé de la fédération, l'essence même de notre pacte. Il a dit :

Nos amis du Bas-Canada ont accepté de nous donner une représentation en fonction de la population à la Chambre basse, à la condition expresse d'obtenir l'égalité à la Chambre haute. Nous n'aurions pas pu avancer d'un pas si nous avions rejeté cette condition.

C'est le principe d'égalité qui est aussi à l'origine de la raison d'être du Sénat. John A. MacDonald a affirmé à cet effet, et je cite :

Afin de protéger les intérêts locaux et d'empêcher des jalousies régionales, on a jugé nécessaire que les trois grandes divisions qui composent l'Amérique du Nord britannique soient représentées à la Chambre haute en fonction du principe de l'égalité.

Ainsi, les Pères de la Confédération attribuèrent deux rôles clés au Sénat. Le premier consistait à faire contrepoids à la Chambre des communes élue démocratiquement, le deuxième à protéger les intérêts régionaux et les minorités. Voilà pourquoi le rôle de protection et de représentation des intérêts régionaux se reflète dans la structure du Sénat.

On a donné une voix égale à chaque région — il y en avait trois à l'origine, puis une quatrième s'est rajoutée — sans égard à la taille de la population. Cette mesure visait à offrir aux provinces moins populeuses et à la province de Québec majoritairement francophone la protection du Sénat contre les désirs de la majorité de la population canadienne exprimés dans les décisions de la Chambre des communes.

Le Parlement comprend actuellement 413 sièges. Les trois quarts environ sont à la Chambre des communes et l'autre quart au Sénat. Leur distribution respecte le principe de la démocratie. La population du centre du Canada compte 55 p. 100 des sièges du Parlement et élit environ 60 p. 100 des députés de la Chambre des communes. Toutefois, la distribution des sièges respecte aussi le principe de la représentation régionale — les habitants des régions moins peuplées du pays jouissent d'une majorité équivalant à 54 p. 100 des sièges du Sénat.

Le Sénat compte aujourd'hui 105 membres issus de divers milieux et représentant toutes les provinces et les territoires. Les sénateurs sont trois fois moins nombreux que les députés fédéraux et le budget de fonctionnement du Sénat est environ cinq fois moins élevé que celui de la Chambre des communes.

Le Sénat est le reflet de la mosaïque régionale et culturelle du Canada. Il représente toutes les régions et les provinces du Canada, et plus de la moitié des sénateurs représentent les régions les moins peuplées du pays. Les trois peuples fondateurs du Canada, les Autochtones, les Anglais et les Français sont représentés au Sénat, tout comme plusieurs des communautés ethniques de notre pays.

Plus de 30 p.100 des sénateurs sont des femmes, une proportion considérablement élevée comparativement aux autres chambres hautes du monde.

La représentation, cependant, ne se limite pas uniquement aux circonscriptions géographiques. Certains sénateurs sont aussi des porte-parole, par exemple des anciens combattants, des prisonniers, des aînés, des travailleurs saisonniers, des plus démunis et des jeunes.

Au cours de la première moitié du XXe siècle, le Sénat était dominé presque exclusivement par des hommes venant de trois secteurs : le droit, les affaires et l'agriculture. Il y a une quarantaine d'années, le célèbre journaliste canadien Grattan O'Leary a été nommé au Sénat. Sa nomination a lancé une importante tradition; que la Chambre haute devrait toujours compter parmi ses membres au moins un ou une journaliste de renom.

De plus, depuis la nomination du sénateur James Gladstone, il y a environ 40 ans, le Sénat a toujours compté dans ses rangs des sénateurs autochtones.

En fait, le Sénat d'aujourd'hui représente probablement mieux la population de notre pays que ne le font la plupart des chambres hautes des pays du G7. Nous comptons parmi les sénateurs un dirigeant syndical, un joueur de hockey, un musicien, un acteur, des enseignants, des médecins, des agriculteurs, des ingénieurs et même une dessinatrice de mode.

C'est pourquoi le Sénat est chargé de protéger les droits et les intérêts des Canadiens et Canadiennes de toutes les régions, particulièrement des groupes minoritaires ou des personnes qui n'ont pas souvent l'occasion d'exprimer leur opinion au Parlement. La composition de notre Chambre a beaucoup changé avec le temps et de façon positive pour la population. Nous nous devons d'avoir les outils nécessaires afin d'accomplir nos tâches.

En 1980, le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles dégageait dans son rapport, Rapport sur certains aspects de la Constitution canadienne, quatre rôles pour le Sénat, tous complémentaires des fonctions de la Chambre des communes, soit un rôle de révision législatif, un rôle d'enquête, un rôle de représentation régionale et un rôle de protection des minorités linguistiques et autres. Ce sont des rôles que le Sénat a toujours joués.

Les sénateurs doivent accorder davantage d'importance à l'incidence régionale des lois et des politiques. Ils sont en contact suivi avec des particuliers, des représentants d'entreprises, des universités, des écoles, des groupes communautaires et des groupes d'intérêt de leur région. Ils sont ainsi en mesure de veiller à ce que les intérêts de leur région soient pris en considération dans l'élaboration des politiques gouvernementales.

Dans le cadre de l'élaboration de politiques, c'est une pratique commune pour chaque ministère de l'appareil exécutif de tenter de mesurer l'impact de ces politiques, non seulement sur la population entière, mais sur les régions et les minorités de façon plus particulière. Il est donc connu que ces études, qui servent à anticiper les répercussions des politiques et lois proposées, existent déjà.

Je suis d'avis que les sénateurs doivent avoir accès à ces études afin de connaître non seulement les objectifs du gouvernement, mais principalement de connaître l'impact positif possible du projet de loi présenté tel que l'anticipe le gouvernement en place et, si possible, connaître aussi les situations d'impact négatif, afin de nous permettre de proposer des mesures constructives pour atténuer les effets dévastateurs.

Chacun de vous peut citer en exemple des législations et des programmes qui ont eu des impacts négatifs sur nos régions ou nos minorités, depuis la Confédération ou encore plus récemment.

En ce qui concerne le Canada atlantique, je peux donner de nombreux exemples de cas où une politique nationale a eu une incidence dévastatrice sur l'économie, où l'imposition des droits de douane a perturbé notre structure commerciale. L'un d'eux est la construction de la Voie maritime du Saint-Laurent, qui a enlevé de la clientèle au port de Halifax et aux établissements financiers des environs. Parmi les exemples plus récents, notons le passage de l'assurance-chômage à l'assurance-emploi, l'abolition des subventions au transport pour les produits agricoles et forestiers, et la délivrance de permis de travail à des travailleurs étrangers au lieu d'aider les Canadiens à se qualifier pour les emplois en question.

Et qu'en est-il du Programme énergétique national et de ses répercussions sur l'Ouest? Et des effets de divers programmes économiques régionaux, allant des incitatifs fiscaux dans les années 1960 jusqu'au FODER, le Fonds de développement économique rural, en 1966? Nous sommes ensuite passés en 1969 à la Loi sur les subventions au développement régional, en 1973 aux ententes de développement économique régional, appelées EDER, ou encore ententes de coopération. En 1982, il y a eu le MEIR, le ministère de l'Expansion industrielle régionale et, en 1988, des agences régionales.

Oui, tous ces programmes ont été créés par des gouvernements de différentes allégeances. Certains des problèmes se sont réglés avec le temps, mais d'autres sont toujours là. Le Sénat a-t-il fait du bon travail au bon moment pour les régions, sur ces questions?

Je ne veux pas juger de ce que nous avons fait par le passé, mais je veux certainement influer sur ce que nous ferons à l'avenir. Je ne donnerai pas mon appui à un projet de loi du gouvernement qui n'est pas accompagné d'une étude d'impact en ce qui a trait aux régions et aux minorités. C'est le moins que le gouvernement puisse faire s'il respecte nos responsabilités. Aller de l'avant sans faire d'étude d'impact serait comme de demander au Dr Keon d'opérer sans scalpel, ou à Tommy Banks de jouer sans piano.

Honorables sénateurs, en raison de nos emplois et de nos responsabilités historiques, étant donné la technologie d'aujourd'hui et puisque nous savons que des mesures législatives font parfois l'objet d'études d'impact, nous avons la responsabilité de demander et d'obtenir les outils nécessaires pour accroître notre efficacité. Il ne suffit pas de nous donner la boîte à outils, il faut aussi que les outils soient dans la boîte.

Récemment, quelqu'un m'a dit que les changements les plus efficaces qu'on puisse apporter à une organisation sont ceux qui sont faits de l'intérieur. Le sénateur Segal a présenté une motion voulant que les travaux du Sénat soient télédiffusés, et je l'approuve tout à fait. Ce ne sont pas tous les Canadiens qui comprennent le travail que nous faisons.

De la même façon, nous devons apporter certains changements à nos règles. Il est absolument inefficace d'ajourner le débat sur cette motion aujourd'hui et d'entendre la position d'un autre sénateur dans 15 jours. Les règles devraient prévoir un délai de cinq jours de séance. Mais nous en parlerons plus tard, dans le cadre d'une motion de révision de notre Règlement. L'adoption de ma motion serait déjà un bon début.

Cette motion exprime donc le souhait que le Sénat demande au gouvernement d'accompagner tous ses projets de loi d'une étude sur l'impact social et économique qu'ils auront sur les régions et les minorités. Le Sénat a une obligation historique et constitutionnelle, en relation avec le rôle qu'il joue, à représenter et à protéger les minorités et les régions.