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Motion visant à modifier la Constitution du Canada quant à la représentation régionale de l'Ouest canadien au sein Sénat

Honorables sénateurs, je prends aujourd'hui la parole au sujet de la motion visant à modifier la Constitution du Canada quant à la représentation régionale de l'Ouest canadien au sein Sénat, qu'on appelle maintenant la motion Murray-Austin.

Nos collègues ont présenté une motion portant modification constitutionnelle visant à approuver une représentation supplémentaire de l'Ouest canadien au Sénat. Comme vous le savez tous, cette modification augmenterait de 12 le nombre de sénateurs ainsi répartis : six sénateurs de plus pour la Colombie- Britannique, quatre pour l'Alberta, un de plus pour la Saskatchewan, et un pour le Manitoba.

Si le Sénat adopte la motion, il utilisera son droit de proposer une modification constitutionnelle et lancera alors la procédure officielle de modification constitutionnelle, à savoir l'envoi de messages à la Chambre des communes et à toutes les législatures provinciales.

Comme le prévoit la Loi constitutionnelle, ces entités auront trois ans pour agir, sinon la résolution sera réputée caduque et inopérante.

Honorables sénateurs, pour que cette résolution entre en vigueur, elle devra obtenir l'appui d'au moins sept provinces représentant plus de 50 p. 100 de la population canadienne, de même qu'une majorité à la Chambre des communes.

Toutefois, je suis fermement convaincue qu'il s'agit d'une mesure à la pièce qui soulève davantage de questions fondamentales sur le rôle et les pouvoirs du Sénat. Pas plus tard qu'en 1980, la Cour suprême du Canada a rappelé l'immuabilité du pacte conclu par les provinces fondatrices à l'époque de la Confédération. La citation est tirée du Renvoi relatif à la Chambre haute [1980] R.C.S. 54 :

... le Parlement agissant seul ne peut pas apporter au Sénat des modifications portant atteinte « aux caractéristiques fondamentales ou essentielles attribuées au Sénat pour assurer la représentation régionale ou provinciale dans le système législatif fédéral ».

Le caractère du Sénat a été déterminé par le Parlement britannique en réponse aux propositions présentées par les trois provinces pour répondre aux besoins du système fédéral proposé.

C'est ce Sénat, créé par l'Acte, auquel un rôle législatif a été conféré par l'article 91. Nous sommes d'avis que le Parlement du Canada ne peut en modifier unilatéralement le caractère fondamental et le paragraphe 91(1) ne l'y autorise pas.

Honorables sénateurs, la motion dont nous sommes actuellement saisis ne vise pas à modifier le principe fondamental et essentiel du nombre égal de représentants entre les quatre divisions représentées au Sénat, car cela ne peut se faire qu'au moyen d'une révision de la Constitution, en vertu de l'article 38. Toutefois, l'adoption de cette motion signifierait essentiellement que le Sénat préfère et appuie l'idée de modifier le nombre de représentants de chacune des quatre divisions au Sénat pour que ce nombre soit inégal.

Honorables sénateurs, l'article 22 de la Constitution canadienne prescrit que :

En ce qui concerne la composition du Sénat, le Canada sera censé comprendre quatre définitions :

1. Ontario;

2. Québec;

3. Les provinces maritimes : la Nouvelle-Écosse et le Nouveau-Brunswick ainsi que l'Île-du-Prince- Édouard;

4. Les provinces de l'Ouest : le Manitoba, la Colombie- Britannique, la Saskatchewan et l'Alberta.

Les quatre divisions doivent (subordonnément aux révisions de la présente loi) être également représentées dans le Sénat, ainsi qu'il suit : Ontario par 24 sénateurs; Québec par 24 sénateurs; les provinces maritimes et l'Île-du-Prince- Édouard par 24 sénateurs, dont dix représentent la Nouvelle-Écosse, dix le Nouveau-Brunswick et quatre l'Île- du-Prince-Édouard; les provinces de l'Ouest par 24 sénateurs, dont six représentent le Manitoba, six la Colombie- Britannique, six la Saskatchewan et six l'Alberta; la province de Terre-Neuve aura le droit d'être représentée au Sénat par six sénateurs; les Territoires du Nord-Ouest et du Yukon ont le droit d'être représentés au Sénat par un sénateur chacun.

Honorables sénateurs, pourquoi voudrions-nous modifier aujourd'hui la représentation régionale qui caractérise le Sénat? Pourquoi est-il souhaitable maintenant que nous modifions la Constitution de sorte que les quatre divisions du Canada soient représentées de manière inégale au Sénat? Le faisons-nous seulement pour apaiser les réformateurs de toutes allégeances qui formulent des demandes incohérentes afin de modifier le Sénat?

Je suis tout à fait d'accord avec madame le sénateur Hubley, qui a dit dans cette enceinte qu'il ne faudrait jamais envisager de manière fragmentaire la réforme parlementaire, c'est-à-dire sans connaître au préalable la forme et le fond des institutions réformées. Je crois fermement qu'il est naïf de penser que nous pouvons simplement modifier des éléments importants du Sénat sans toucher à sa fonction et à sa finalité.

L'objet sous-jacent de cette motion est de reconnaître l'existence de deux régions de l'Ouest eu égard à la croissance démographique, en particulier en Alberta et en Colombie-Britannique. Concrètement, cette modification hausserait de 12 le nombre de sénateurs. Par comparaison avec le Québec et l'Ontario, la Colombie-Britannique et l'Alberta continuent d'accroître leur représentation à l'autre endroit. On a fait valoir que le poids démographique et économique actuel de l'Alberta et de la Colombie-Britannique justifiait une représentation plus importante que celle des provinces du Canada atlantique.

Selon les fondateurs de notre beau pays, à la Chambre haute est « confié le soin de protéger les intérêts des régions »; il en résulte que les quatre grandes divisions sont également représentées pour défendre leurs intérêts contre les diverses majorités combinées à la Chambre des communes.

Le Bas-Canada ne nous a concédé la représentation d'après la population à la Chambre basse qu'à la condition expresse qu'il y ait une représentation égale à la Chambre haute. Les négociations sur la Confédération n'auraient pu aboutir sans cette condition. La protection de ces intérêts, comme l'égalité à la Chambre haute, est inscrite dans la loi fondamentale du Canada. C'est notre contrat. Pour arriver à une négociation de contrat fructueuse, il faut que toute modification soit bénéfique pour toutes les parties. Cette proposition modifie le principe fondamental de représentation égale : une région obtiendra une meilleure représentation tandis que les trois autres verront la leur diminuer.

Au Sénat, le concept de représentation régionale découle de compromis politiques historiques. Par comparaison, la Constitution des États-Unis prévoit un équilibre entre la représentation démographique et la représentation géographique : il y a deux sénateurs par État, au moins un membre de la Chambre des représentants par État et des représentants au sein du collège électoral. Néanmoins, comme le sénateur Mercer l'a déjà déclaré ici à propos de la même question :

[...] chaque fois que nous parlons d'une réforme du Sénat et d'une modification de la structure de notre institution, nous semblons tomber dans un débat sur la représentation selon la population. Ce n'est pas ce dont il est question dans cette enceinte.

Lorsqu'ils se sont penchés sur la question, les sénateurs Murray et Austin ont fondé la plupart de leurs arguments sur les principes d'équité. Ce sont les mêmes principes qui sous-tendent les débats sur la représentation en fonction de la population qui ont lieu tous les dix ans à l'autre endroit lorsqu'il est question de la Loi électorale. Or, ces arguments vont directement à l'encontre de la raison d'être d'une Chambre haute dans cette grande fédération, qui est de représenter et de protéger les régions et les minorités contre la volonté de la majorité. Le Sénat a été créé pour équilibrer la représentation et pour assurer une certaine égalité ainsi que l'inclusion des provinces moins peuplées en dépit de la tyrannie de la majorité.

Nous ne nous sommes pas penchés sur l'incidence d'une telle restructuration sur le fonctionnement du Sénat. Quel effet aura-t- elle sur le rôle traditionnel de représentation des régions? Quel effet aura-t-elle sur le rapport entre le Sénat et la Chambre des communes? Faudra-t-il revoir nos responsabilités et nos pouvoirs sur le plan constitutionnel?

Honorables sénateurs, je crois fermement qu'il est impossible de modifier la composition, le caractère et les fonctions du Sénat sans également se pencher sur l'ensemble des questions connexes. Avant de modifier le principe historique et constitutionnel de la représentation régionale, ne devrions-nous pas envisager toutes les conséquences que cela comporte? Si on croit que la modification de la représentation régionale n'aura pas de conséquence, il faut d'abord se demander pourquoi on souhaite procéder à un tel changement?

Soyons clairs : le droit de vote régional est important.

Honorables sénateurs, nous devons nous pencher sur ces questions fondamentales avant que l'équilibre de la représentation régionale soit rompu.

Honorables sénateurs, je n'appuierai pas cette motion, puisqu'en l'adoptant, nous violerions l'entente en matière d'égalité qui a été conclue entre les quatre divisions. Nous ne pouvons tout simplement pas proposer et accepter de violer cette entente.

Bien que l'accord du lac Meech ait eu comme objectif de concilier les aspirations culturelles et linguistiques du Québec et celles du reste du Canada et d'accorder une reconnaissance à nos peuples autochtones, l'accord de Charlottetown consistait en un train de changements constitutionnels portant sur la reconnaissance du Québec et sur le Sénat triple E exigé par les provinces de l'Ouest. Cette proposition visait à élire six sénateurs par province. Cela avait été proposé par les gouvernements fédéral et provinciaux en 1992 et a fait l'objet d'un référendum public en octobre de la même année.

Même si la plupart d'entre nous avions travaillé très fort pour la faire approuver, cette proposition a été rejetée par les quatre provinces de l'Ouest, qui se sont opposées au Sénat triple E tel que le proposait l'accord de Charlottetown. Au Manitoba, 61,6 p. 100 des gens ont voté contre l'accord de Charlottetown; en Saskatchewan, 55,3 p. 100; en Alberta, 60,2 p. 100; et en Colombie-Britannique, 63,8 p. 100.

Les quatre provinces de l'Ouest ont voté contre le Sénat triple E.

Les politicards continuent de soutenir que c'est la seule façon pour l'Ouest de se sentir « inclus ». Si l'Ouest a rejeté le Sénat triple E par une si forte marge il y a 15 ans, pourquoi certains politiciens de l'Ouest militent-ils encore en sa faveur?

Je suis d'avis que, dans un dossier d'une telle importance constitutionnelle, nous, sénateurs, avons l'obligation d'exprimer notre point de vue et de contribuer au débat constitutionnel national qu'il faut tenir pour moderniser le Sénat. L'histoire reconnaîtra que nous avons été à la hauteur de notre devoir constitutionnel et que nous ne sommes pas simplement élevés contre toutes les initiatives de réforme. Il appartient à cette Chambre de respecter sa raison d'être constitutionnelle, dans l'intérêt des régions et des minorités et au meilleur de ses capacités. Les modifications proposées à la représentation régionale changeront la nature fondamentale et l'objet même du Sénat.

Finalement, l'intention de la motion Murray-Austin qui est présentée semble être de respecter plusieurs précédents dans les modifications apportées, au fil du temps, au nombre et à la répartition des sièges au Sénat. Cependant, il est important de préciser que la plupart de ces changements ont augmenté le nombre de sièges du Sénat lorsqu'une nouvelle province ou un nouveau territoire s'ajoutait à la fédération.

Il faut reconnaître que chaque fois qu'un siège a été ajouté au Sénat, c'était en raison de la création d'un nouveau territoire au Canada.

On a commencé par deux sénateurs pour le Manitoba en 1870, trois sénateurs pour la Colombie-Britannique en 1871 et quatre sénateurs pour l'Ile-du-Prince-Edouard en 1873. Une province ou un territoire qui s'ajoute constitue une nouvelle entité politique; il en va autrement lors d'un accroissement de la population d'une région donnée.

Les principaux rôles du Sénat sont de protéger la Constitution, les droits des minorités et les régions du Canada. Ce serait faire fi de la fonction de cette institution que de tenter de donner suite aux volontés de réforme au cas par cas.

Ce qu'il faut, c'est une remise en question complète du rôle, des pouvoirs et de la composition du Sénat. Ce n'est qu'ensuite que nous serons sur la voie d'un Sénat canadien moderne.