Honorables sénateurs, je saisis cette occasion pour féliciter madame le sénateur Spivak de son engagement à l'égard de l'environnement et de la navigation sécuritaire. Bien que je partage la plupart des préoccupations exprimées par le sénateur à cet égard, je ne peux appuyer le projet de loi S-12 pour de nombreuses raisons.
Si je m'oppose au projet de loi, c'est surtout parce ce qu'il est redondant par rapport aux lois existantes en matière de navigation de plaisance. De plus, le projet de loi S-12, s'il est adopté, ne prévoit aucune instance publique pour la tenue de consultations démocratiques, contournant ainsi les autorités municipales et provinciales.
Au sujet de la première question, après avoir étudié le projet de loi en profondeur, j'ai appris qu'une loi fédérale existe, qui régit l'utilisation des bateaux sur nos eaux. La Loi sur la marine marchande du Canada confère en effet le pouvoir de limiter les activités de navigation de plaisance pour des raisons de sécurité du public et de protection de l'environnement.
C'est sous les auspices de cette loi que le gouvernement s'est permis d'imposer des restrictions à la navigation de plaisance à l'ensemble du pays. Il est important de noter que c'est par le biais des Règlements sur les restrictions à la conduite des bateaux que le gouvernement gère les activités de navigation de plaisance de tous les types d'embarcations, y compris les motomarines, en réglementant leur accès et leur vitesse aux fins de sécurité publique et environnementale. Ces règlements couvrent tous les aspects de la conduite de tous les types d'embarcations nautiques dans l'ensemble du pays. Cette réglementation comporte un mécanisme permettant de restreindre ou même d'interdire l'utilisation de tous les bateaux à moteur, y compris les motomarines, dans les eaux du Canada.
Le projet de loi S-12 prévoit un mécanisme de demande d'autorisation auprès du ministre concernant la restriction d'utilisation de certains cours d'eau.
Voici un exemple de dédoublement et de redondance. Le paragraphe 8.1 du Règlement sur les restrictions à la conduite des bateaux de la Loi sur la marine marchande du Canada, prévoit que :
L'autorité désignée ou l'autorité provinciale désignée qui désire que des eaux soient assujetties à une restriction de la même nature que celles prescrites par le présent règlement, peut soumettre au ministre une demande à cet effet accompagnée d'un rapport indiquant le lieu concerné, le type de restriction proposée, les renseignements relatifs à toute consultation publique tenue à cet égard, et les détails de la mise en œuvre de la restriction proposée.
On définit aussi « autorité désignée » comme étant le sous- ministre d'un ministère fédéral, le premier dirigeant d'un organisme fédéral ou le représentant désigné dans l'application du présent règlement.
On désigne aussi par « autorité provinciale désignée » tout ministère d'une province désigné par le gouvernement de la province pour le traitement des demandes de restrictions à la navigation dans les eaux de cette province.
Par ce règlement, l'objectif principal du projet de loi S-12 est déjà possible et en application. Cet objectif principal est de limiter l'accès à un certains cours d'eau. C'est précisément pour cette raison que je suis d'avis que ce projet de loi ne ferait que rendre l'application de ces restrictions en matière environnementale et de sécurité publique complexes et redondantes. Le processus de réclamation pour une restriction ou une interdiction d'un certain type d'embarcation permissible par un groupe de propriétaires sans organisation définie auprès des communautés, est encore plus inquiétant.
Je crois fortement que la consultation publique et démocratique est très importante pour protéger les droits des Canadiens. Il m'apparaît aberrant qu'un groupe d'utilisateurs de cours d'eau puisse restreindre l'accès public à d'autres groupes non définis. Le processus de consultation proposé par le projet de loi S-12 fait en sorte qu'une association de propriétaires de chalets, par exemple, pourrait imposer sa volonté aux autres utilisateurs en empêchant un certain type d'embarcation plutôt qu'un autre, ou une certaine pratique plutôt qu'une autre, après avoir superficiellement consulté la population locale.
Il est important de noter que les gouvernements municipaux et surtout provinciaux seraient presque entièrement ignorés dans ce processus. Au Nouveau-Brunswick, il est possible d'imposer une amende aux contrevenants aux règlements déjà en place par le biais des autorités locales, y compris les corps policiers municipaux, et de la GRC. Plusieurs provinces disposent de ce pouvoir qui est prène par certaines dispositions provinciales.
Des provinces ont déjà légiféré dans des domaines qui touchent l'utilisation des voies navigables. La plupart des lois provinciales déterminent les voies navigables destinées à un usage public, comme la Loi sur le lit des cours d'eau navigables de l'Ontario, ou définissent les responsabilités en matière d'assurance maritime, comme la Loi sur l'assurance maritime du Manitoba. La plupart des provinces ont adopté des lois de protection de l'environnement pour protéger les sources d'eau et limiter l'accès du public aux cours d'eau d'où est tirée l'eau destinée à la consommation. Le principal objectif du Règlement sur la modification des cours d'eau et des terres humides, relevant de la Loi sur l'assainissement de l'eau du Nouveau-Brunswick, en est un exemple.
Paradoxalement, la question de la pollution sonore est un des grands sujets d'intérêt des habitants du Nouveau-Brunswick. Nous sommes attachés à la paix et à la tranquillité, surtout lorsque nous sommes au chalet ou nous promenons en canoë sur nos beaux cours d'eau. Au Nouveau-Brunswick, le gouvernement provincial peut contrôler le niveau sonore de toutes les sources, sur les lacs et les rivières, par un règlement d'application de la Loi sur l'assainissement de l'environnement.
Le projet de loi S-12 ne limiterait le bruit que des motomarines, sans tenir compte de la pollution sonore causée par d'autres types de véhicules marins ou d'activités nautiques.
L'application des règlements déjà en place représente le véritable fardeau que ce projet de loi tente d'éliminer. Il est donc très important que les autorités municipales et provinciales, qui veillent déjà à l'application d'une grande partie de la réglementation sur les cours d'eau, soient impliquées davantage dans nos objectifs d'application de ces règlements. Je crois donc que la mise en œuvre du projet de loi S-12 serait difficile, voire même impossible.
Pour mieux illustrer mes propos, prenons par exemple la rivière Madawaska, qui se déverse dans mon coin de pays. Cette rivière prend source au lac Témiscouata, au Québec, longe plusieurs communautés du côté québécois et traverse du côté du Nouveau- Brunswick en longeant plusieurs régions boisées où l'on retrouve des chalets qui ne sont pas véritablement regroupés ou définis sous forme d'organisations.
La rivière Madawaska entre dans la ville d'Edmundston, au Nouveau-Brunswick, où plusieurs maisons se trouvent sur sa rive. Elle traverse le centre-ville d'Edmundston pour se déverser dans la rivière Saint-Jean. La rivière Saint-Jean est elle-même une frontière internationale entre le Canada et les États-Unis. Elle est accessible par le Maine tant par le Nouveau-Brunswick que par le Québec.
La rivière Madawaska est une petite rivière d'environ 35 kilomètres. Elle naît au Québec pour se déverser au Nouveau- Brunswick dans une rivière frontalière. J'arrive à peine à cerner l'horreur et la complexité de la mise en œuvre du projet de loi que nous avons devant nous. Une rivière interprovinciale et internationale : comment gérer cela?
Il serait donc possible, pour plusieurs regroupements de propriétaires riverains de la rivière Madawaska, de limiter l'accès à un type d'embarcation plutôt qu'un autre pour une section de la rivière. Ensuite, un autre regroupement, quelques kilomètres plus loin, pourrait faire l'inverse. Quelle serait la position de la municipalité dans laquelle la même rivière passerait? Et les provinces du Nouveau-Brunswick et du Québec n'auraient rien à dire dans le débat. La GRC, la Sûreté du Québec et les corps policiers municipaux qui voient au respect des lois déjà en place en matière de sécurité nautique et autres auraient à mettre en oeuvre des restrictions mises en place pour plaire à chaque organisation ou regroupement de propriétaires.
À mon avis, ce serait de la négligence que d'outrepasser le rôle des provinces dans la réglementation des embarcations sur les cours d'eau même si le gouvernement fédéral a compétence pour légiférer dans ce domaine. Puisque toutes ces embarcations font déjà matière de réglementation fédérale et provinciale et étant donné que la protection de l'environnement est une responsabilité partagée entre les différents paliers gouvernementaux, je suis d'avis que nous ne devons tout simplement pas contourner les provinces et les municipalités par cette initiative.
À titre de législateurs, nous ne devrions pas faire abstraction de la dualité des compétences ni légiférer lorsqu'il existe déjà des lois. Par conséquent, à mon humble avis, le Sénat ne doit pas adopter le projet de loi S-12, parce que ce texte ferait double emploi avec des lois et règlements existants.